Nadja - Comment ça se fait (Cornélius (éditions), France, 2006)
Nadja est bien connue
dans l'illustration pour la jeunesse avec de nombreux ouvrages, parmi lesquels
'chien bleu'. En adaptant une nouvelle de Henry James,
dans 'le menteur' (Denoël), et avec d'autres ouvrages chez Cornélius ('comment
faire des livres pour les enfants', 'celles que j'ai pas fumées'),
elle entre dans le milieu de la bande dessinée 'adulte'. Elle change
de format en passant de la petite taille des ouvrages 'Raoul' à
la plus grande collection 'Pierre'.
Les caractères de ce roman graphique sont tous
des ours vivant en milieu urbain. Nos plantigrades évoluent dans la sphère
artistique, et le personnage principal (N., son nom n'est évoqué que
dans la dernière case...) fait
de la peinture qu'elle entasse dans son atelier. Un de ses amis, Paul lui propose
de lui écrire un scénario pour un film avec quelques idées
de bases qui vont la poursuivre jusque dans ses rêves. Faut-il écrire
ce scénario ? Faut-il démarcher les galeries ? Faut-il se plonger
dans la réalité pour peindre ? Faut-il exposer pour être peintre
? ... 'Comment ça se fait' que les personnages plantigrades
se posent ce genre de question ou plutôt 'comment ça se fait' que
l'on se les pose, car sous le caractère entomologiste de l'histoire, c'est
bien de la nature humaine dont il s'agit et de questions existentielles.
Au niveau graphique, on devine les coups de pinceau
(de pattes ?) de gouache dans le dessin. On apprend dans la biographie présentée
dans un rabat de couverture, que Nadja peint également...
et l'on peut se demander s'il ne s'agit pas d'une mise en abyme de l'auteur.
Où se
trouvent les frontières
de la fiction et de l'autobiographie... mais toute oeuvre artistique ne contient-elle
pas une part autobiographique ; voilà encore
une nouvelle question ! À vous d'y répondre en compagnie de ces
ours. [17 Mai 06, Jean-Marc]
|
Seth - Wimbledon Green (Seuil (le), Canada, 2006)
Dessiner régulièrement dans
ses carnets une histoire à tiroirs multiples autour d'un
même personnage ("une approche qui consiste
à raconter, par le biais de plusieurs histoires courtes et
sans rapports entre elles, une histoire plus longue. La somme des
parties est alors supérieure au tout" nous dit
l'auteur dans une préface qu'il
préférerait que l'on lise en postface), tel est
l'exercice que s'est imposé Seth,
reprenant un procédé utilisé chez Chris
Ware ou Daniel
Clowes. Le travail
réalisé sort de ses carnets, à peine
retravaillé, pour ce petit album bien attachant.
Le dessinateur canadien nous parle des
collectionneurs de comics, en particulier l'insaisissable et
mystérieux Wimbledon Green,
qualifié de plus grand collectionneur du monde. D'autres
collectionneurs obsessionnels et des libraires évoquent ce
personnage que l'on suit aussi directement, notamment dans 'Green
ghost', une quête épique d'un comics
oublié. Seth
s'amuse beaucoup dans ces galeries de personnages, sans
scrupules quand il s'agit de rassembler une série
complète. Le livre va plus loin, en parlant de lui, lecteur
de comics dans sa jeunesse, mais aussi de nous lecteurs (de livres au
delà des comics). On retrouve la même
évocation nostalgique de ses autres ouvrages ('Clyde
fans', 'Palooka ville' ou 'la vie
est belle malgré tout' qui parlait aussi de la
passion des comics [nb : une nouvelle édition est sorti au Seuil]).
La couleur utilisée est d'ailleurs un vert passé,
vieilli prématurément. Puisque nous sommes dans
la fabrication de l'objet, admirons la couverture embossée
(relief) recouvert d'une dorure et les coins arrondis. Le lettrage
n'est pas aussi soigné, débordant trop souvent
des cases... seule fausse note de l'éditeur
français par rapport à la version originale
sortie chez Drawn
& Quarterly... à moins qu'il ne
s'agisse d'une ruse pour gonfler la côte d'ouvrages
imparfaits que rechercheront les collectionneurs ! Ne gâchons
pas notre
plaisir, ce livre est jubilatoire et indispensable non seulement dans
les librairies comme l'indique une des notes accrochées au
bandeau en 4e de couverture, mais dans toutes les
bibliothèques.
[08 Mai 06, Jean-Marc]
|
|
Nicolas de Crécy - Escales (Cornélius (éditions), France, 2006)
Avec 'Escales', le prolifique Nicolas
de Crecy nous invite dans
ses carnets de voyages imaginaires. Les lieux visités ne sont pas connus,
mais ne sont pas totalement inconnus, comme dans le récent album consacré à 'New
York sur Loire' qui évoquait à la fois la Big Apple, Paris
ou encore Lisbonne (déjà visité par N. de Crecy pour 'Lisbonne,
un voyage imaginaire', voir ici) ,
un mélange à la
fois futuriste
et nostalgique.
Pour voyager,
N. de Crecy nous propose plusieurs formules
de transports, voitures sorties des années 50-60, la panoplie de transports
en commun collectif, et le plus nostalgique de tous, le paquebot. On retrouvera
l'esprit maritime qui souffle jusque dans l'ours final que la maison Cornélius personnalise
toujours. On passe de dessins au pastel gras à ceux
en pointe fine en passant par quelques peintures, le tout proposé en bichromie
(voire plus sur quelques pages) et en noir et blanc (avec de magnifiques hachures
"à la Crumb"). L'auteur
nous livre également quelques études
de personnages dans le pur style des sketchbooks.
Le travail de Nicolas de Crecy est
multiple et foisonne de lieux, d'époques, de références,
de techniques et de personnages différents. Il fallait bien ces 'Escales' dans
la collection 'Blaise' (entre autres, terre d'accueil pour les carnets de voyage
de
Dupuy & Berberian)
pour en saisir la richesse et la diversité. [30 Avr. 06, Jean-Marc]
|
Jessica Abel - La perdida (Pantheon books, USA, 2006)
Débutée en 1999, la série en 5 numéros
de 'la
perdida' s'est
achevée l'année dernière
chez Fantagraphics. Aujourd'hui, cet imposant travail
est rassemblé dans
un non moins imposant ouvrage par Pantheon Books, suivant le même
parcours que
'Black hole' de Charles
Burns (idem pour une prochaine adaptation française chez
Delcourt).
Carla quitte les États-Unis pour Mexico, à la
recherche de ses racines, étant née de père mexicain.
Elle délaisse
peu à peu la communauté d'expatriés
depuis sa rencontre avec Mémo,
un vendeur de t-shirts affirmant haut et fort ses idées marxistes. Son
ami Oscar, un dealer souhaitant devenir DJ, devient
son amant, et remplace sa colocataire démissionnaire (à cause
de Mémo...). Elle croise à plusieurs reprises, un baron de la
drogue qui se nomme el
Gocho... Malgré la
mise en garde de son frère Rod de passage, elle ne voit pas le
danger se préciser...
Vous l'aurez compris, 'la perdida' est le personnage
de Carla,
perdue à Mexico, perdue dans sa recherche d'identité. Jessica
Abel développe des personnages humains complexes, une richesse
exprimée
avec quelques traits dans le dessin fort efficace et toujours en mouvement.
L'ouvrage est une autofiction, une fiction présentée
à la première personne par Carla, ce qui renforce le sentiment
de roman graphique. Jessica Abel souhaitait
aussi rendre compte de sa vision de Mexico, où elle est partie avec
son mari dessinateur Matt Madden ;
une vision non manichéenne à tous niveaux.
[23 Avr. 06, Jean-Marc]
|
|