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  | Joe Sacco Gaza 1956, en marge de l'Histoire (Futuropolis [2005], USA, 2010) |  |
Joe
Sacco avait commencé
ses reportages
de guerre avec ‘Palestine’ en
1991 (parution du 1e
volume en 96), alors que la bande de Gaza était
contrôlé par Israël. Dix ans plus tard
(2001), il y revient après les accords d'Oslo (93),
désormais sous administration palestinienne, à
l'occasion d'un reportage commandé par le magazine Harper's
Bazar. Fort de la lecture du livre de Noam Chomsky,
‘le
triangle fatidique’, il se lance dans
une enquête sur le massacre de plusieurs centaines de
Gazaouis (275 selon le rapport de l'ONU) en novembre 1956.
Retour en 1956 pour situer l'Histoire, la bande de
Gaza, à
l'Est de l'État d'Israël
constitué depuis 1948, est sous contrôle de
l'Egypte voisine (au Sud-Ouest), sans être
annexée. La tension monte entre Égypte
armée par
la Russie et Israël armée par les occidentaux. Un
accord israëlo-franco-anglais (de Sèvres) convient
d'une attaque de la bande de Gaza par Israël suivi d'une
intervention sur Port-Said pour prendre le Canal de Suez ; ainsi
débute la guerre de Suez fin octobre. Sous la pression
russe, puis américaine, le trio doit stopper ses actions et
se retirer des positions prises. La bande de Gaza sera de nouveau
occupée en 1967 durant la guerre des 6 jours.
Joe
Sacco
se focalise sur l'attaque Israéliennes, et les exactions
commises
à Rafah et Khan Younis lors de ce "petit arrangement entre
États'. Les rassemblements forcés des
hommes de ces villes, se sont transformés en massacre. Des
exécutions sommaires y ont été
pratiquées, au delà des combattants
recherchés et loin des conventions internationales. A l'aide
de guides, le dessinateur a rassemblé de nombreux
témoignages d'anciennes victimes des mauvais traitements, ou
des parents (souvent les femmes) de disparus. Ce sont près
de
sept
années qui ont été
nécessaires pour cet ouvrage de 400 pages, de 2002
à 2009 des interviews au dessin en passant par la
consultation d'archives avec des sources Israéliennes
(rares) ou Onusiennes. ‘Gaza
1956’ ne
se limite pas aux tragiques
évènements de 1956, Joe Sacco
présente en
effet son travail en intégrant le quotidien
des Gazaouis. On croise ainsi souvent les bulldozers
Israëliens qui détruisent les maisons
soupçonnées (notamment celle d'un de ses guides).
Les allers
retours dans le passé donnent un éclairage
particulier sur le présent (pour reprendre la formule de
l'émission radio "concordance des temps"
de J.N. Jeanneney,
France Culture), malgré les
méfiances des jeunes Gazaouis sur le travail sur 1956.
Joe
Sacco mentionne également
ses doutes, ses interrogations sur les témoignages, parfois
difficiles à recouper, à vérifier
(parfois grâce à la vive émotion des
anciens). Il utilise souvent une continuité dans le
récit en intégrant les
différentes sources même si elles ne convergent
pas. Trois pages en fin d'ouvrage ont elles été
recoupées à maintes reprises,
dessinées en vue subjective.
Pour le lecteur cette plongée dans le Gaza de
1956 laissera des traces, les faits sont lourds, les dessins explicites
durs à regarder malgré le filtre du trait par
rapport à l'image photo ou vidéo. Comme Tardi
sur la guerre de 14-18, Joe
Sacco essaye de faire revivre
de douloureux passages de l'Histoire, ici sur la base de
témoignages, tout en laissant le travail d'enquête
apparent. Sur le vaste sujet, côté
cinéma, on ira revoir les contributions de Elia
Suleiman (avec un angle burlesque pour
contrebalancer la gravité de ‘Gaza
1956’), ‘Z32’
de Avi Mograbi
(des témoignages de soldats Israéliens), le
récent ‘Lebanon’ de Samuel Maoz
ou encore ‘Valse avec Bashir’
de Ari Folman
à la croisée du dessin et du cinéma.
Dernier conseil avant de vous plonger dans cet ouvrage
indispensable qui fera date dans le domaine du reportage
dessiné, prévoyez une autre lecture plus
légère, en parallèle ou
après selon votre résistance à la
violence.

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