Un adolescent rentre chez lui, un disque emballé
sous le bras, ignorant les gosses qui jouent au football. Il rentre
dans un immeuble, puis chez ses parents qu'il croise
indifféremment. Nous sommes dans les
années 70, à Macclesfield, un quartier de
Manchester. Le disque est de David
Bowie, l'adolescent se nomme Ian Curtis.
Cette séquence qui ouvre ‘Control’,
film retraçant une partie de la courte vie du chanteur de Joy Division,
réalisé par Anton
Corbijn. S'il s'agit de son 1e. film, Anton Corbijn
est bien connu du milieu musical, pour avoir
réalisé des photographies, des pochettes ou
encore des vidéo-clips pour de nombreux groupes (U2, Depeche Mode,
R.E.M.,
Nirvana, Nick
Cave
...). En 1979, il quittait sa Hollande natale pour Londres et
photographiait Joy
Division
dans un couloir de métro.
Le biopic, contraction de "biographic
picture", est un genre difficile, d'autant plus ici que Ian
Curtis représente un mythe (Patrick Eudeline
dit justement "Il faut un Christ un chaque
génération, chaque mouvement. Ian Curtis
était le Jésus de la new wave. Celui qui est mort
pour les péchés des autres"). Pour
éviter un dérapage non
contrôlé, ‘Control’
s'appuie sur un réalisateur légitime, Anton Corbijn
est respecté dans le milieu musical, mais aussi
sur le livre ‘touching from a distance’
de Deborah Curtis,
la veuve du chanteur (d'ailleurs co-productrice du film). Le
scénariste, Matt
Greehalg, mancurien lui aussi, respecte le
livre, en allant plus loin sur certaines parties, comme la liaison
extra-conjugale avec une journaliste belge, plus
développée dans le film.
Côté
interprétation, le défi était de
taille, il n'est pas facile d'endosser des membres du groupe. Ian Curtis
est interprété par Sam
Riley, ancien ex-chanteur (il a depuis
réactivé son groupe 10000
Things qu'il avait quitté) devenu
acteur. Il avait ainsi figuré dans ‘24
hour party people’ de Michael
Winterbottom, jouant Mark
E. Smith jeune ! L'interprétation
respecte le
personnage, dans les limites du biopic (un acteur
jouant le rôle d'un personnage déjà
présent dans les mémoires ; en
allant dans une scène dans un niveau supérieur : Sam Riley
jouant Ian
Curtis imitant David
Bowie !). Le parti pris pour les
scènes musicales a été de
re-joué les morceaux, les autres membres du groupe sont
aussi musiciens (Bernard
Summer, Peter
Hook et Stephen
Morris ont leurs sosies !).
Le film reprend les moments
cléfs de l'histoire du groupe (la fameuse signature du
contrat avec Tony
Wilson [lui aussi co-producteur, avant son
décès] ... ), dont certains
éléments figuraient dans ‘24
hour party people’ évoqué
précédemment (le concert des Sex Pistols
par exemple [les deux films ont des approches totalement
différentes, avec deux sujets principaux
différents, et une comparaison serait inconvenue). On voit Rob Gretton
leur manager, on aperçoit Martin
Hannett. Mais ‘control’
est surtout la vie Ian
Curtis à partir de
son adolescence, son environement, son travail (dans une agence pour
l'emploi), sa fille Nathalie (présente dans la foule d'une
scène de concert du film), sa poésie, son mariage
précoce (parlons de la formidable interprétation
de Samantha Norton,
vue dans ‘Morven Callar’ de Lynne
Ramsay, ‘Eden’
de Amos
Gitaï ou encore ‘Accords
et désaccords’ de Woody Allen),
son épilepsie ... Le film montre comment Ian Curtis,
très volontaire décidant sa vie, ne pouvait plus
la décider avec le succès grandissant du groupe
(les relations avec le public étaient aussi
déséquilibrées, lui donnant tout et le
sentiment
de ne pas recevoir autant en retour grandissait), en ne pouvant rompre
ni avec sa femme, ni avec son amante, rongé par la maladie
et les tourments intérieurs ... Là où ‘Last
days’ de Gus
Van Sant ne reprenait qu'une courte
période précédent le geste de Kurt Cobain
(Jésus du grunge), ‘Control’
suit Ian Curtis
sur plusieurs années, à partir de son
adolescence. On voit l'évolution et les transformations du
chanteur.
Parlons de la photographie du
film, Anton Corbijn
gagne ses galons de réalisateur de long métrages,
bien sûr avec une maîtrise de l'image (superbe noir
et blanc, parfois légèrement teinté
vert ou sépia), du cadre, et de la narration. Il ne
dénature pas l'histoire de Joy
Division et de son chanteur
comme on aurait pu le craindre avec d'autres réalisateurs,
il ouvre aussi le sujet à un plus large public ne
connaissant pas forcément le groupe. Ceux-ci seront
frappés par l'âge de Ian
Curtis sur le carton
précédant le générique
final.
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